Clap de fin !
Comme chaque année, la fin du festival est une rupture. C'est une excitation quotidienne qui retombe, une tension positive qui s'arrête, ce sont les bains de foule des "rues d'Avignon" qui s'achèvent, mais surtout les innombrables voyages qui prennent fin, l'impression de voler d'un univers à l'autre, d'un monde à l'autre, d'une histoire à une autre qui disparaît... Ce shoot de théâtre sans aucun risque d'overdose est le bain de jouvence annuel qu'on attend avec tellement d'impatience que sa fin pourrait presque nous laisser dans un manque insupportable, s'il n'y avait cette nouvelle impatience en train de naître : celle de tout retrouver l'an prochain ! Alors, vivement le festival 2026 !
Le chant des Lions (Gémeaux-OFF)
Du théâtre comme on l'aime ! Ce pan de vie de Germaine Sablon, Joseph Kessel et Maurice Druon rassemble tout ce que l'art dramatique peut offrir : une tension croissante, que le récit des événements historiques favorise, des passages plus légers, pauses qui contribuent à nouer l'intrigue davantage, des émotions qui ne font que croître jusqu'au poignant final. La mise en scène est impeccable, elle fait aussi la part belle aux chansons, sans que cela n'enlève rien à la montée de la tension de l'histoire, puisque l'un des personnages centraux est une chanteuse passée à la postérité avec la complicité des deux écrivains. Le drame intime de Kessel, qui se sent responsable du suicide de son frère, vient sans cesse doubler le drame historique, celui du sucide d'une nation, d'un continent, et c'est le même homme qui, en donnant toute sa dignité à son neveu et un hymne à la résistance, va renouer les fils de ces terribles déchirures. Une pièce qui emporte le spectateur par son énergie positive, malgré les tragédies traversées... c'est exactement ce dont on a besoin actuellement.
L'Autre Galilée (Théâtre de la Carreterie-OFF)
Tout est réuni pour que l'on passe une petite heure passionnante dans ce minuscule théâtre : un décor minimaliste mais évocateur d'une ambiance Renaissance studieuse, un comédien qui sait charmer son public, et surtout un récit biographique incarné et riche. C'est que la vie de Galilée, au-delà des poncifs, est une véritable aventure. L'aventure d'un curieux, d'un assoiffé de savoir, dans de nombreuses disciplines, mais surtout en physique et astronomie ; l'aventure d'un homme libre, qui refuse de s'attacher à des études qui ne lui plaisent pas, qui vit le grand amour et fonde une famille sans jamais se marier, qui refuse qu'on lui impose des théories infondées ; l'aventure des intellectuels de ce tournant du 17ème siècle qui voit peu à peu s'élaborer la science moderne. Car Galilée, si beaucoup de ses découvertes sont incomplètes ou insatisfaisantes, si pas mal d'autres ont révolutionné la science, est d'abord celui qui a mis en pratique la philosophie de Thomas d'Aquin et qui l'a poussée le plus loin possible, à la limite de la rupture entre foi et raison, mais sans jamais atteindre cette rupture, officiellement du moins. C'était la porte ouverte au rationnalisme qui fleurira après lui. Mais Galilée est aussi celui qui le premier a systématisé la démarche expérimentale : observation, hypothèse, expérience, confirmation ou non de l'hypothèse. Tout ceci est doucement mais habilement présent dans l'histoire qui nous est racontée, celle de la vie du savant (à partir de ses lettres principalement) de son époque, des ses recherches donc, mais sans jamais tomber dans l'ennui d'un exposé trop savant, sans jamais non plus oublier sa personnalité dont l'hybris est sans cesse soulignée, hybris qui le conduira au châtiment séculier, mais aussi à la réussite intellectuelle. Une petite pièce fort intelligente et fort agréable, à voir pour le plaisir, mais aussi à montrer dans tous les collèges !
Elia, généalogie d'un faussaire (Le Petit Chien-OFF)
Un peintre en plein travail reçoit la visite d'une femme qu'il éconduit rapidement après quelques questions d'ordre privé. Pourquoi cette tension subite, et que veut cette femme ? C'est à partir de ce noeud que l'intrigue va se dérouler, sous forme de deux récits qui alternent, celui du peintre qui raconte son existence telle qu'il l'a perçue, celui de la femme qui raconte l'histoire de la vie du peintre telle qu'elle l'a reconstituée. Le positif et le négatif se complètent peu à peu, tout devient plus clair pour le spectateur, et c'est une grande fresque qui s'élabore à travers ces deux récits. On y voit les persécutions juives sous les Tsars de Russie, puis le destin d'un peintre qui rencontre les plus grands artistes de l'Ecole de Paris, qui se lie d'une amitié indéfectible avec Chagall, avant de subir la déportation, où il continue à peindre, puis de refaire sa vie en Amérique où il peindra toujours. Parallèlement, on assite à l'évolution d'un enfant abandonné pendant la guerre, accueilli dans une famille d'accueil, puis qui s'enfuit pour se construire tout seul, dans la rue, à la sauvage, avant de découvrir sa vocation de peintre, borderline, et de vivre d'expédients tous plus illégaux les uns que les autres, dans le domaine de la peinture. Par une pirouette à la Molière, ou à la Lelouch, avec coups de théâtre et reconnaissances, les deux histoires finissent par se rejoindre. Une pièce qui nous plongent dans les tourments de l'histoire du vingtième siècle, qui nous montre aussi à quel point l'art peut être aussi bien un miroir aux alouettes qu'une bouée de sauvetage. Une belle pièce qui nous dit que l'art et la culture sont essentiels : ils contribuent à éclairer le fond des vies les plus obscures, à éclairer le chemin de nos existences.
Le Message (Les Barriques-OFF)
La tension est permanente dans cette pièce car elle mêle une histoire d'amour sur le fil du rasoir et une intrigue qui prend place en pleine guerre, au Liban probablement, puisque l'autrice en est Andrée Chédid. Cette intrigue est chronologiquement très resserrée, elle retrace le parcours d'une jeune femme, photographe de guerre, devant rejoindre son amoureux, archéologue, à l'autre bout de la ville. De leurs retrouvailles dépendra l'avenir de leur relation. Dans cette atmosphère angoissante et où la tension est extrême, comme il se doit dans une tragédie, le bonheur est une fragile lueur qui luit, vacille, tremble, est promise à l'extinction. Et c'est ce qui fait la force du texte, et de la pièce jouée de façon fort juste : l'idée de bonheur a-t-elle encore un sens quand l'humanité est ramenée aux pires instincts bestiaux qui la traversent trop souvent ? Peut-on être heureux quand on est sniper et qu'on tue pour devenir quelqu'un aux yeux de son père ? Peut-on être heureux quand on se débat dans l'horreur des massacres ? Peut-on être heureux quand l'amour est anéanti par le poids de l'histoire sanglante en marche ? Le "message" est lourd à porter et semble avoir du mal à trouver ses destinataires, surtout actuellement... Une pièce qui touche au coeur et qui résonne douloureusement en ces temps incertains.