Rideau !
Et voilà, le rideau est encore tombé sur Avignon... Des rires, des émotions, des boules dans la gorge, des rencontres, des retrouvailles, des découvertes, de la musique, de la danse, des expositions, du théâtre, la rue en folie, les guirlandes d'affiches, les festivaliers perdus, les fins connaisseurs de la ville, de la jeunesse surtout, de la belle jeunesse, l'immense bouillonnement partout... Car, s'il est de bon ton de dire que "c'était mieux avant", il n'en est bien sûr rien en réalité : ce grand corps vivant que devient Avignon, cette intelligence collective qui meut les corps et les esprits, c'est l'utopie du grand partage toujours réalisée, l'idéal d'une société de concorde autour de l'art sans cesse renouvelé. Et pour cela, Avignon, quoi qu'on en dise, est irremplaçable ! Il suffit de se promener dans ses rues lors du festival, de humer l'air, dans le chant des éternelles cigales, pour s'en convaincre. Le Phoenix s'est consumé, il renaîtra l'an prochain !
Sellig (Le Paris-OFF)
On termine par un grand éclat de rire ! Ce rire populaire, finaud, ce rire qui nous prend quand on se voit dans un miroir déformant de fête foraine, c'est nous, mais vus autrement ; ce rire qui fait du bien aux zygomatiques quand on vient de passer trois semaines à se crisper (avec un autre bonheur) les méninges. On n'est pas dans la haute philosophie, dans l'analyse en profondeur de la complexité humaine, voire... ces petits tableaux qui disent notre bêtise, nos travers, nos défauts qu'on se masque, ne sont-ils pas une forme moderne de farce à la Molière, ne touchent-ils pas à l'essence de la comédie ? Castigat ridendo mores !
Les Valises bleues (Chien qui fume-OFF)
Nous voici dans l'intimité d'un couple d'artistes, qui avancent en âge, mais qui restent pleins d'énergie et de vitalité. Entre eux, c'est comme une respiration : on inspire et la passion se met en branle, les jeux érotiques, les déclaration d'amour fou, les corps à corps torrides... puis on expire et le doute s'installe, la peur de la lassitude, le ronron d'une relation de longue date. Alors, on recommence, on inspire, on expire, on inspire, on expire. Leur art même est questionné : lui est "obsédé" par les fesses féminines et les peint de manière obsessionnelle, à la façon de Klein, elle chercher toujours LA chanson phare de sa carrière, elle crée sans cesse mais semble ne pas avancer. Dans cette quête d'inspiration, le spectateur est sans cesse surpris, ne sachant s'il assiste à une énième respiration ou s'il s'agit de l'expiration ultime. Telle une spirale, les faux départs s'enchaînent avec les vraies retrouvailles, de manière toujours nouvelle, mais d'une nouveauté qui finit par être monotone, elle aussi. Il faut trouver autre chose, mais quoi ?... Stéphanie Lanier et Jean-Marc Catella incarnent de manière flamboyante ce couple qui flotte mais ne coule pas. Une belle pièce de G. Vantaggioli sur les tourments du temps qui passe, sur nos tentatives désespérées pour le rendre le plus riche, le plus plein possible… l’existence n’est-elle pas cette respiration entre le doute et l’euphorie ?
Cendres sur les mains (théâtre du Girasole-OFF)
Si la situation renvoie vaguement au théâtre de l'absurde, par les attentes vaines de deux fossoyeurs de guerre, par l'absence de cause apparente de leur présence en ces lieux inhospitaliers, par l'improbable surgissement d'une rescapée mutique, en réalité nous assistons à une claire opposition entre les utilisateurs des "mots de la tribu", du langage des hommes, qui mènent une vie d'ici-bas, qui gèrent un quotidien ignoble, au sens propre, et celle qui ne parle pas, qui se vide de ce qui a pu faire ce quotidien, pour se remplir de vie, de vies, de tous ces univers intérieurs qui ont été sacrifiés et qu'elle va prendre en charge pour abolir l'oubli et le temps. Et à son contact, les mots de la tribu vont devenir "plus purs", les deux fossoyeurs vont voir leur matérialité disparaître au fur et à mesure qu'ils vont prendre conscience de leur finitude et donc de la vérité de l'être. Certes la guerre et la violence sont au coeur de cette pièce, mais comme autant de métaphores de ce néant menaçant que le langage seul peut combattre, le langage dramatique, le langage poétique, le langage de Laurent Gaudé. La mise en scène d'A. Tchobanoff et le jeu exceptionnel de P. Lona, A. Carbonnier et O. Hamel envoûtent le spectateur pour l'entraîner dans ces confins de la vie et de la mort, entre ombres lumineuses et sombres clartés. Du grand théâtre !
Drôle de printemps (Théâtre des Barriques-OFF)
Comment dire la complexité des "Printemps arabes", leur caractère hétéroclite, parfois contradictoire, la multitude de points de vue, que les images sur les réseaux sociaux n'ont pas aidé à clarifier, la diversité des situations ? Dans une pièce chorale ou quatre jeunes acteurs déclament tour à tour, ou ensemble, des discours tenus par tel ou tel individu, rebondissant d'une situation à une autre dans un étrange jeu de correspondances, cette multiplicité est parfaitement rendue, souvent de façon tendue, parfois tendre ou inquiète, pleine de conviction ou balbutiante. Cette mosaïque d'approches, de perceptions, n'aide pas à clarifier les choses, mais elle permet de mieux en appréhender les nuances, les variations, pour plonger le spectateur au coeur du maelström de l'histoire, que le maelström des corps en mouvement symbolise parfaitement, avec le vertige qui saisit celui qui vit les grands événements historique de l'intérieur sans en percevoir la cohérence, mais en espérant toujours des lendemains qui chantent... à hauteur d'homme. Un beau spectacle servi par de jeunes comédiens prometteurs.